Lorsque les mots sont bloqués en moi, j’ai pris le pli d’aller fluidifier l’expression au pinceau, en couleurs, à la peinture ou à l’encre, et souvent sur de grands formats réalisés à même le sol. Donner une forme à des émotions ou des ressentis que je n’arrive pas à formuler.

Ça me plaît de pouvoir malaxer, éclater, chuchoter, hurler, tordre, triturer, faire danser les mots sur la toile et le papier. Les phrases sont devenues des images. Libres dans l’air suspendues à un fil ou bien encadrés, mes messages trouvent une autre résonance visuellement.

Tracer les lettres, dessiner les mots, laisser couler le texte, c’est transmettre une autre énergie. Exprimer autrement. Toucher différemment. Dire autre chose.

Je me sers de l’impact visuel de chaque lettre, de la force du mot, de son écho, renforcé par l’articulation des mots entre eux, pour faire du texte une image. Très souvent ce n’est pas prémédité. Très souvent, le message s’impose et s’installe sur le pan de toile, et s’y loge, pile poil, parfaitement contraint par les bords, parfaitement dans l’harmonie qui lui est propre.

Exposition avec la galerie Fahmy Malinovsky, La brûlure, Mars à Mai 2023, à l’épicerie-café la Cale - Paris, 19ème

Pauline Dupin-Aymard s’empare du papier et laisse son esprit, sa main et tout son corps vagabonder. Les œuvres présentées ici sont toutes des extraits inédits de ses carnets où s’est affirmé son écriture filante. L’artiste a adopté un mode de vie itinérant durant plusieurs mois. Elle s’est rendue dans des espaces pour elle vierges de souvenir et a pu tracer sa route en se déplaçant sur ces territoires. Les lignes de Pauline ont donc toujours commencé ailleurs et finissent bien plus loin, comme les lignes de voies ferrées filent, surgissent à l’horizon et s’échappent dans le lointain. On se rappelle que chacun de nos gestes, de nos élans créent des lignes, qui restent invisibles et se prolongent. L’artiste nous ramène à la ligne, nous renvoie à l’idée que nous tirons les traits de nos vies et les superposons les uns sur les autres. 

Les créations de Pauline Dupin-Aymard ont quelque chose de végétal. Ses lignes foisonnent et sont multiples. Elles ont des fibres différentes, se chevauchent, s’entremêlent, comme un dense bosquet. On pense à des brins, des tiges, une écriture ondulante et tortilleuse dont les courbes, les bavures, les accents font les épines et le feuillage. Il faut lire les textes de Pauline Dupin-Aymard. Lire, c’est suivre à la trace, l’idée qui bouge, se forme et se déforme. Elle les retient au bord du dessin. Mais il faut suivre aussi le mouvement-même de la main - où elle s’appuie, s’interrompt, presse le papier ou file librement. La photographie présentée laisse observer ce corps à corps entre la main de l'artiste et le végétal que l’encre a fini d’inscrire jusque dans la peau de l’artiste.

Des lignes lui glissent entre les doigts et s’échappent sur le papier jusqu’à la dernière goutte. Comme un brouillon, la page est couverte, il y a des ratures, des taches. Dans ce recouvrement, soudainement, des formes émergent. L’artiste, par cet assemblage de lignes, de signes, nous présente une forme, peut-être celle qu’a pu prendre une émotion à un moment précis, qui est déjà fini et nous échappe désormais. L’écriture devient un flux qui se saisit dans l’obscurité de la tache, l’épanchement de l’encre. La rature devient le plaisir pure d’une ligne qui revient sur elle-même, s’attarde, pour mieux laisser jaillir autre chose, une image, flottante, suspendue, indéfinie.

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